La négociation commerciale : fondements et conduite

La vente comme la négociation sont des processus relationnels qui vont bien au-delà du champ de la fonction commerciale stricto sensu. Il est possible d’affirmer, à l’instar de nombreux auteurs et praticiens, que chacun est aujourd’hui porteur d’une « offre ».

Dans un monde plus turbulent et dynamique, où les ressources se raréfient, les acteurs du monde socio-économique doivent en permanence négocier et/ou faire adhérer autrui à la cause qu’ils défendent (qu’il s’agisse d’une décision, d’un projet, d’un produit, d’un changement d’organisation ou de stratégie, d’une idée, etc.).

Se pose alors la question de savoir ce qui différencie la négociation commerciale d’autres formes de négociation (sociale, politique, diplomatique, conjugale, etc.), où chacun serait finalement invité à adopter systématiquement une « posture commerciale » dans sa relation aux autres.

Cette « posture », mélange d’attitudes et de comportements, de savoir-faire et de savoir-être, consiste à tenir compte de l’autre (de ses désirs, besoins et attentes) pour mieux l’inciter à dire « oui » à nos propositions ou à nos idées (par la séduction, la raison ou la persuasion).

La première partie de cet article sera consacrée à présenter les fondements de la négociation, sa diversité, ses composantes et ses outils.

Dans la deuxième partie, dédiée à la conduite de la négociation, seront mis en lumière les facteurs clés de succès de la vente et les différentes méthodes utilisées en fonction des situations quotidiennes rencontrées par les acteurs

Les fondements de la négociation commerciale

La négociation commerciale : consiste à rechercher un accord sur les conditions commerciales par un échange de contreparties.

En première analyse, la négociation commerciale possède ainsi un certain nombre de points communs avec d’autres formes de négociation (Jolibert, Velasquez) :

  • l’existence d’une divergence perçue d’intérêt entre les parties ;
  • la volonté de rechercher un accord total ou partiel par la discussion ;
  • l’absence de règles ou de procédures préétablies permettant de résoudre le conflit ;
  • le besoin de prendre des décisions consolidant ou modifiant les rôles sociaux de chaque acteur.

Sa particularité tient en fait à l’objet de l’échange, qui est essentiellement constitué d’une livraison de produits et/ou de services moyennant une contrepartie. Cette contrepartie est le plus souvent monétaire (le prix) et est généralement assortie de conditions d’une variété infinie (conditions de paiement, garanties, délais, SAV, etc.).

Selon Christophe Dupont (1994), la négociation commerciale présente plusieurs caractéristiques spécifiques :

  • elle est dominée par l’existence d’une prestation (le produit ou service et les attributs qui s’y rattachent) qui rend le vendeur tributaire de sa propre réputation, mais également de celle de son entreprise (la marque qu’il représente). La négociation imbrique ainsi des aspects objectifs (définis par rapport au marché) et des aspects subjectifs (liés à la relation qui s’établit entre les parties) ;
  • elle est marquée par la présence de données techniques de nature variée qui impliquent des compétences très diverses : économiques (prix, financements, délai, etc.), technologiques (spécifications, services associés à la prestation principale, etc.), juridiques (clauses contractuelles, garanties légales, etc.) ;
  • elle fait apparaître une tension entre le besoin de conclure une transaction unilatéralement avantageuse (sous la pression économique et concurrentielle) et celui de maintenir une relation à long terme (fidélisation) ;
  • elle se situe dans une chaîne économique dont elle constitue un maillon, entre un producteur de matière première et un destructeur final. Cette interdépendance astreint les fournisseurs et les clients à prendre en partie en compte les contraintes de leurs interlocuteurs, en particulier dans le milieu industriel (le vendeur de fournitures sait que l’acheteur à qui il s’adresse fait face à des impératifs de coût de revient et qu’il est également vendeur ou client à un autre stade de la chaîne).

La négociation commerciale suppose qu’au préalable les parties prenantes soient entrées en contact suite à l’initiative d’un acheteur (appel d’offres, demande de conseils, prise en main d’un produit au sein d’un magasin etc.) ou d’un vendeur (démarchage, contact téléphonique, etc.).

La diversité des négociations commerciales

La négociation commerciale recouvre une variété de situations et d’activités en permanente évolution. Chaque changement culturel ou social du consommateur produit des effets dans la vente d’un produit final ainsi que dans les négociations en amont de sa distribution. Chaque innovation technologique disruptive provoque aussi des mutations dans la manière de conduire les échanges entre acheteur et vendeur.

La négociation prend des formes très différentes selon que les parties sont des professionnels ou des particuliers, qu’ils se trouvent dans une relation ponctuelle ou plus longue, que l’acheteur est demandeur ou prospect, que la vente se déroule dans un contexte local ou international, que les produits ou services vendus sont banals ou innovants, que le secteur d’activité ou géographique soit en croissance économique ou en crise, etc.

La vente et la négociation

La vente est généralement définie comme un acte d’échange entre un vendeur et un acheteur, qui acquiert l’usage de biens ou de services contre rémunération. Toutefois, la vente concerne autant le fait de signer un contrat ou de formuler un accord verbal que l’action de « vendre » une idée ou un concept (Audebert-Lasrochas, 2004).

Vendre consiste alors à convaincre ou persuader un interlocuteur (le client) que la proposition du vendeur répond le mieux à ses attentes et besoins. Ce processus peut ou non inclure une phase de négociation dans laquelle les parties recherchent un accord par un échange de contreparties (Dupont, 1994).

En effet, dans certaines situations, les conditions commerciales sont fixées par l’entreprise qui propose une offre sans que l’acheteur (voire même le vendeur) puisse les discuter. Nous sommes alors dans une situation semblable à de la vente par catalogue ou par Internet. La négociation ne devient possible que lorsqu’il existe une marge de manœuvre pour modifier les termes de l’échange.

Il existe des cas où la négociation est de facto quasiment absente, soit du fait qu’il existe une domination exercée par l’une des parties, qui impose son offre ou son besoin du fait d’un pouvoir très déséquilibré en sa faveur, soit que le vendeur réussit à convaincre l’acheteur qu’il est inutile de perdre du temps supplémentaire car il restera sans effet améliorateur sur l’achat final.

A contrario, la négociation pourra constituer la majeure partie des échanges lorsque les acteurs seront en situation d’interdépendance et de relatif équilibre de pouvoir.

Le marketing et la négociation

Pendant longtemps, le marketing a privilégié les aspects transactionnels de la fonction commerciale au détriment des aspects relationnels. Dans son manuel de référence Marketing management, Kotler indiquait ainsi que le rêve inconscient de l’homme du marketing était d’imaginer une stratégie commerciale tellement aboutie qu’elle n’aurait plus besoin du rôle du vendeur.

L’émergence du paradigme relationnel a modifié la donne en reconnaissant une forme de subjectivité aux comportements d’achat et en redonnant au commercial son statut d’interlocuteur clé et de partenaire. Ainsi, le concept de vente relationnelle (Jackson, 1994) se fonde sur la construction, le maintien et le renforcement des liens avec les clients, faisant des vendeurs les premiers acteurs de la stratégie commerciale de l’entreprise.

La notion de vendeur-conseil ou de vendeur-partenaire qui sous-tend cette approche rapproche le vendeur de biens et services de grande consommation du profil du négociateur d’affaires habitué à gérer dans une optique de long terme des échanges à forts enjeux avec une multiplicité de partenaires.

Au niveau stratégique, le marketing tient aujourd’hui compte de la négociation entre les parties ainsi que des résultats qui en découlent. D’ailleurs, Porter (1985) s’intéresse particulièrement au pouvoir de négociation des acteurs au sein d’un marché (ou d’un ensemble de chaînes de valeurs) pour expliquer les choix stratégiques de chacun.

Au niveau des études de la demande, le traitement informatique de données de masse (big data) permet de mieux comprendre et appréhender le consommateur. Cela permet d’atteindre une qualité de précision en termes de prospection et de personnalisation de l’offre qui ne serait pas possible sans l’avènement d’Internet. Par ailleurs, certaines grandes entreprises, notamment américaines, utilisent les big data dans la recherche et le développement (R & D) de produits innovants.

Au niveau opérationnel, des équipes marketing de soutien à la vente (animateur de réseau, community manager, web marketeur, etc.) accompagnent désormais la fonction commerciale (téléconseillers, vendeurs et service après-vente) pour mieux répondre aux attentes et aux besoins des clients.

Exemple

Lors de l’appel d’un client pour résoudre un problème technique, les spécialistes du service assistance d’un opérateur téléphonique en profitent pour proposer une offre commerciale. Il en est de même pour le service client d’une des banques françaises qui, à la réception d’un appel pour signaler la perte d’une carte bancaire ou autre, présente un nouveau service. Nous remarquons que les frontières s’estompent de plus en plus entre le rôle des commerciaux et celui des autres équipes de l’entreprise.

Dans ce type d’entreprises orientées client, chaque acteur participe directement ou non à la fonction commerciale et se trouve un jour ou l’autre mis devant la nécessité de négocier. De nouveaux métiers, à la frontière du marketing et de la vente apparaissent alors pour soutenir les efforts de chacun dans la gestion de cette relation client (animateur d’un réseau de point de vente, community manager, etc.).

Les situations de négociation

Il convient de distinguer la vente B2C de la vente B2B. La nature de la relation est tout à fait différente. Dans le premier cas, nous sommes face à un professionnel de la vente en affaire avec un consommateur, alors que dans le deuxième cas, nous sommes en présence de professionnels exclusivement. Les objectifs n’étant pas les mêmes, les stratégies d’approche sont forcément différentes. Le statut des protagonistes détermine les règles du jeu de la relation de vente.

À partir d’une analyse de la littérature, Darmont (2011) propose une typologie des négociations commerciales fondée sur trois critères principaux :

  • la nature des parties impliquées dans la négociation (particulier ou professionnel) ;
  • leur rôle (acheteur ou fournisseur) ;
  • le niveau d’importance et de risque encouru par les parties concernant le résultat de l’accord (ou l’absence d’accord).

Vendre sa maison, au-delà de l’enjeu économique et financier, convoque des mécanismes émotionnels et affectifs qui vont interférer dans la construction de la relation de vente et fortement intervenir dans la prise de décision. Alors que pour un agent immobilier, il s’agit simplement d’une transaction à négocier le plus efficacement possible.

Ces caractéristiques permettent à l’auteur de bâtir une typologie de dix catégories allant du marchandage entre particuliers, pour conclure une transaction à faible implication, jusqu’à la négociation d’un accord de partenariat à fort enjeu entre deux équipes de négociateurs professionnels.

Remarque

Si de nombreux échanges commerciaux se font sans négociation (vente de produits de consommation courante) ni même interaction réelle (vente par Internet), la négociation existe toujours à un stade ou un autre dès que les enjeux sont importants.

Les composantes de la négociation commerciale

Pour mener à bien la négociation, chaque négociateur doit tenir compte du contexte pour tisser des liens avec l’autre partie afin de parvenir à un objectif commun : trouver un accord mutuellement acceptable. La situation de négociation met donc en jeu plusieurs éléments :

  • le ou les négociateurs en situation de vente (objectifs, personnalité, etc.) ;
  • le ou les négociateurs en situation d’achat ;
  • l’accord auquel chaque partie souhaite parvenir.

Ces éléments prennent place dans un certain cadre (lieu, temps, etc.) et sont liés par trois types de relations :

  • la relation qui unit les deux parties ;
  • la relation du vendeur à l’accord en construction (son offre, ses propositions, ses objectifs, etc.) ;
  • la relation de l’acheteur au contrat (ses attentes et besoins, ses contre-propositions, etc.).

La prise en compte de ces éléments permet de distinguer dans une négociation les aspects relatifs :

  • au contexte, qui influe sur les comportements et les décisions des acteurs ;
  • au contenu, autrement dit les modalités et les conditions de l’accord à établir ;
  • à la relation entre les parties, qui renvoie au processus de négociation et à la manière dont se déroule l’échange.

Chacun de ces aspects doit être pris en compte et être géré par le négociateur. Ils sont pour partie donnés et invariants durant l’entretien de négociation (structure) et pour partie évolutifs et modifiables par les acteurs.

Exemple

Un représentant en peinture rend visite à un prospect, gérant d’une société canadienne. L’entretien se déroule sur un chantier. Après les présentations d’usage, l’entrepreneur annonce qu’il dispose de peu de temps car il doit rencontrer le maître d’ouvrage. Voici leur échange :
– « Il faudrait pouvoir tester vos peintures extérieures sur un prochain chantier !
– De quelle quantité avez-vous besoin ?
– Le problème c’est que vos prix sont plus élevés que ceux de mes fournisseurs habituels.
– Nous pouvons vous accorder une remise sur les prix catalogue si les quantités sont importantes.
– Oui, mais mes gars ne connaissent pas vos produits pour l’instant.
– Je peux vous laisser quelques échantillons si vous le souhaitez…
– Oui mais il faut que je voie avec mon épouse car c’est elle quis’occupe des achats de l’entreprise… »

Cette conversation voit s’enchaîner une série d’arguments et d’objections. Ces dernières indiquent de par leur nombre, leur forme
(« Oui mais ») et leur diversité (un sujet chasse l’autre), qu’au-delà du contenu (la livraison de peinture) se joue un problème de
communication. Ce constat doit inciter le vendeur à travailler sur le processus de négociation et la relation à l’autre partie au lieu
de centrer la discussion sur l’objet de la négociation.

La relation : gérer la distance et les émotions

Une négociation est une rencontre qui est généralement appelée à se renouveler. Il est donc nécessaire de gérer le relationnel avec son interlocuteur, chacun portant plus ou moins consciemment un jugement sur l’image qu’il se fait de l’autre, de son entreprise et du climat de la relation.

Gérer la relation revient à gérer la distance, ou plutôt trouver la bonne distance. Nous reprenons à notre compte le sous-titre du livre de C. Deshays : « Être attentif sans se faire envahir, ferme sans être rejetant ». Ce processus social traduit l’évolution des sentiments des acteurs de la négociation au fil de son déroulement. Gérer la relation revient donc aussi à gérer les émotions (Daniel Druckman et Mara Olekalns ).

1- La distance est à considérer dans ce cas de deux points de vue : celui de la proxémie, c’est-à-dire la distance physique qui sépare concrètement les interlocuteurs, celle-ci obéit à certaines règles (Edward T. Hall) ; mais aussi celui de l’attitude et les communications verbale et non verbale, qui marquent une distance psychique de manière à induire un comportement chez l’autre partie. Ces deux critères dépendent à leur tour des trois considérations suivantes :

  • le profil des négociateurs. Il s’agit d’identifier son propre profil pour améliorer ses performances et de cerner le profil de son interlocuteur afin de mener la négociation dans le sens voulu. Selon le cas, le négociateur ajustera son comportement, en tenant compte de sa nature et de celle de son vis-à-vis. Il s’agit dans ce cas de la gestion du processus ;
  • la position des parties prenantes. Par « position » est entendu le pouvoir que détient chacune d’entre elles. Dans une situation de négociation, il y a souvent un déséquilibre au niveau des pouvoirs. Ce déséquilibre peut s’expliquer par des causes conjoncturelles ou par des causes structurelles et pèse sur le cours des négociations ;
  • le but poursuivi. L’intérêt de la relation est plutôt à envisager en fonction du but recherché. Si la négociation se rapporte à une affaire dont l’enjeu économique est à court terme et n’est pas appelé à durer, les compromis à concéder sont moins importants que lorsqu’ils’agit d’une relation qui doit s’entretenir à long terme.

2- Les émotions sont à considérer du point de vue de l’observation mutuelle des parties prenantes et de la perception réciproque de leurs attitudes et réactions respectives.

Empiriquement, nous connaissons le pouvoir de contagion des émotions qui est avéré sous les analyses IRM, dans les recherches en neurosciences. Excepté dans certains cas particuliers relations conflictuelles violentes, différences culturelles antinomiques, traits de personnalité incompatibles, situations vécues antagonistes, etc.), chacun ajuste automatiquement l’expression de ses émotions à ses interlocuteurs.

Tristesse, joie, colère, mépris sont ainsi l’objet d’amplifications par le partage avec autrui comme les autres combinaisons de sensations. Par ailleurs, les bons sentiments ont un effet positif sur le cours de la négociation.

Il est important de souligner que lorsque l’expression de ces émotions ne correspond pas aux attentes, cela engendre une ambiguïté entre les négociateurs. En effet, lors d’une négociation, les interlocuteurs cherchent à collecter des informations et à les traiter. Un des rôles des émotions est de traiter ces informations en jugeant de leur authenticité, ce qui implique l’interprétation de l’intention de ses vis-à-vis.

Cette interprétation est influencée par l’expression de leurs émotions. Il a été démontré que les intentions honnêtes et malhonnêtes
sont associées à des états émotionnels comme la confiance, le stress et l’intérêt.

Au final, la gestion de la relation se fait au travers des deux critères suivants :

  • la stratégie de communication adoptée : elle concerne aussi bien la communication verbale que la communication non verbale. Par exemple, pour défendre son offre, en plus de préparer ses arguments, il est important de poser sa voix, d’accompagner les gestes par les mots, etc. ;
  • la nature de la relation voulue (qui peut être une relation de dépendance ou d’autonomie) et les conditions qui l’engendrent. Par exemple, chercher à convaincre l’autre par une démonstration privilégie une relation d’autonomie et de confiance où l’accent est mis sur les capacités intellectuelles et les compétences des deux parties prenantes.

L’accord : déterminer les frontières de l’échange

L’accord correspond au contrat à élaborer. Au cours de la négociation, les négociateurs doivent en effet travailler à construire un accord qui satisfasse leurs objectifs et leurs attentes. Au-delà de la confrontation des propositions de chacun, l’accord final symbolisera, s’il aboutit, ce processus évolutif de co-création.

Certains échanges permettent ainsi de progresser dans cette voie (découverte des besoins, attentes et enjeux de l’autre partie, formulation d’une proposition, argumentation d’une clause, concessions, engagements, etc.), d’autres risquent au contraire de s’en éloigner (absence de véritable réponse aux questions de l’autre partie, répétition d’une objection, refus systématique de concéder quoi que ce soit, etc.) et d’aboutir à une situation de blocage ou d’impasse. Cette caractéristique évolutive de la négociation nécessite de la part d’un négociateur une grande maîtrise des paramètres de l’échange.

La construction de l’accord s’opère en réalité autour de quelques enjeux fondamentaux. Ces notions sont les suivantes : le point d’aspiration, le point de réserve, la position initiale affichée, le point de rupture simulé, la meilleure solution de repli et la zone d’accord possible.

La détermination de ces différents points est un enjeu à part entière de la négociation. Il n’est pas toujours facile en raison d’éventuels déficits d’information et de l’incertitude quant aux valeurs et à la hiérarchisation réelles des objectifs de formaliser ces notions.

La grande majorité des auteurs et des praticiens considèrent qu’il est néanmoins préférable de réfléchir à ces différents concepts techniques avant d’aborder une transaction. La question demeure toutefois débattue, certains affirmant qu’un négociateur négocie d’autant mieux qu’il ne connaît pas ses limites.

Le contexte : exploiter les forces en présence

Le processus économique (construction d’un accord aboutissant à un échange de produit ou de service) et social (établissement d’une relation) qu’est la négociation intervient dans un contexte qui influe sur les comportements et les décisions des protagonistes (Jolibert, Velasquez, 1989 ; Sawyer, Guetzkow, 1965).

Ce cadre structurel, qui peut être considéré comme invariant le temps d’un échange entre les parties, est de plusieurs ordres et de plusieurs niveaux :

  • l’environnement général comprend toutes les forces économiques, juridiques, politiques, sociales, culturelles, naturelles et technologiques qui s’imposent aux négociateurs. Si cet environnement est commun aux parties, son influence est spécifique sur chaque négociateur. Ainsi, une hausse des cours mondiaux de matières premières n’aura pas nécessairement les mêmes répercussions pour un gros acheteur industriel d’envergure internationale que pour son fournisseur local, producteur indépendant de petite taille ;
  • l’environnement immédiat est constitué des acteurs directement ou indirectement en relation avec les négociateurs : concurrents, fournisseurs, sous-traitants, clients, salariés. Au sein de cet environnement, les spécialistes du marketing industriel et de la négociation d’affaires insistent particulièrement sur quatre dimensions qui influencent les négociateurs : la composition du centre d’achat , les caractéristiques du produit ou du service échangé, le rôle assigné aux négociateurs par l’entreprise et les stratégies suivies par l’entreprise ;
  • les caractéristiques individuelles des négociateurs influent également sur l’échange. Il s’agit notamment de la personnalité du négociateur, de ses motivations, de certains facteurs cognitifs et de l’expérience du négociateur ;
  • les enjeux et les relations entre les parties avant la négociation ;
  • les conditions dans lesquelles se déroule l’échange : il s’agit du nombre de participants, du caractère public ou non des échanges, du nombre des parties, de la connaissance mutuelle des parties, des contraintes de temps, de la disposition des lieux.

Si les négociateurs ne peuvent généralement pas modifier le contexte pendant l’échange, ils peuvent toutefois :

  • agir sur certains éléments avant la négociation pour essayer de créer un contexte plus favorable (nombre de parties prenantes, recherche d’informations, disposition des lieux, etc.) ;
  • se préparer minutieusement afin d’intégrer le mieux possible les variables de situation et préparer des stratégies relationnelles adaptées ;
  • prendre conscience des éléments de contexte qui risquent de biaiser leurs jugements et leurs décisions.

La rhétorique : instrument de pouvoir et de communication

Lors d’une négociation, chaque partie cherche avec plus ou moins de méthode à influencer l’autre. Dans le même temps, chaque protagoniste sait que les interventions de l’autre (son attitude, son mode d’expression) sont orientées vers le but de convaincre et de faire agir (le vendeur cherche à faire acheter aux meilleures conditions, l’acheteur camoufle sa décision en vue d’obtenir la meilleure offre).

Dans ces conditions, la méfiance risque de dominer l’échange. Aussi, si chacun campe sur ses positions, la négociation se résumera à un simple rapport de forces. Selon l’équilibre des forces en présence, l’échange aboutira à une impasse ou à une situation risquant d’engendrer un fort ressentiment de la part de celui qui estimera s’être « fait avoir ».

Pour que la négociation produise des résultats satisfaisants pour les deux parties, il est nécessaire que chacun essaie de comprendre la manière dont l’autre voit les choses et travaille à élaborer une signification commune.

Cette intention de parvenir à un accord mutuellement acceptable n’empêche pas l’utilisation de techniques d’influence et de manipulation (bien que le plus efficace dans ce domaine soit probablement du ressort de ce que le négociateur produit sans calcul, ni intention), mais elle oblige les parties à s’écouter et à vérifier le sens des mots et des phrases utilisés par l’autre.

Si les relations de pouvoir et de confiance sont des données préalables à l’échange, il est possible d’améliorer, par une rhétorique adaptée, la qualité de la communication pour réduire la distance entre les parties.

Le pouvoir comme soubassement de l’échange

Le pouvoir est une notion complexe qui influe à la fois sur le processus, le contexte et le contenu de la négociation. Il est donc nécessaire de détecter sa source et son champ d’action afin de savoir la cerner, y faire face ou la contourner.

Le pouvoir est présent en amont, pendant et en aval des tours de négociation. En effet, sa présence peut se révéler par effet de réputation (« M. Leford est un vrai tueur ! », pensera l’autre partie avant un entretien). Cette réputation qui précède la négociation influence le comportement des parties adverses.

Le pouvoir peut être décelé pendant la négociation par des attitudes ou un choix de discours (M. Lesage n’intervient pas dans l’échange mais manifeste des signes d’approbation ou de désapprobation au porte-parole : apparemment, c’est à lui que reviennent les décisions). De même, on peut réaliser la position de force après le premier round de la négociation (M. Lessure est resté ferme sur sa proposition, il a certainement d’autres possibilités qui lui permettent de ne pas faire de compromis).

Le pouvoir peut être défini comme un contrôle des ressources clés (Mechanic, 1972) que sont l’information, l’accès aux personnes et l’accès aux moyens des autres.

J. Rojot (2011) présente trois conceptions du pouvoir :

1- le pouvoir comme attribut d’un acteur. Dans cette conception, Weber (1947) cite trois sources de l’autorité : charismatique (la reconnaissance par les tiers), traditionnelle (par l’héritage, les règles, la coutume) et rationnelle/légale (lois impersonnelles liées aux compétences et au mérite). Barnard (1938) et plus tard Simon (1965) décriront que le pouvoir trouve sa source dans l’acceptation de s’y soumettre (la « servitude volontaire », chère à La Boétie). French et Raven (1959) présenteront cinq types de pouvoirs :

  • légitime (issu de la position de celui qui le détient : la position du décideur dans une entreprise) ;
  • de récompense (ou sanction positive ou négative : le chef de famille) ;
  • de l’expert (celui qui détient un savoir, une compétence et donc une solution à un problème particulier : l’ingénieur) ;
  • de déférence (celui à qui l’on cède le pouvoir par respect ou tradition : dans certaines tribus, le doyen de l’assemblée détient le pouvoir) ;
  • de coercition (celui qui peut obliger les autres par la force directe ou indirecte : le parrain d’une bande mafieuse).

Le pouvoir comme donnée relationnelle et relative. Crozier et Friedberg (1977) ont défini une typologie des sources de pouvoir :

  • celui de l’expert (découlant d’une spécialisation) ;
  • celui du marginal sécant (assurant un rôle de lien) ;
  • celui de l’aiguilleur (qui maîtrise les informations et la communication) ;
  • celui qui découle de l’existence de règles organisationnelles.

Le pouvoir, structurel et invisible. Il s’agit de découvrir les aspects invisibles du pouvoir.

Lukes (1974) considère que le vrai pouvoir est la capacité de résoudre un conflit en sa faveur ou carrément de le supprimer. Plus tard, Buchanan et Badham (1999) considèrent que le pouvoir est « intégré », « incrusté », du fait que « ce qui est tenu pour acquis » par un ensemble de règles peut être contestée mais jamais désavouée. Le négociateur lui-même va s’interdire de les braver du seul fait qu’elles sont instaurées et acceptées par tous.

Rojot (2011) propose de remettre en question cette idée de « tenu pour acquis » et propose une grille d’analyse dont les sources du pouvoir se trouvent dans les concepts d’ethnométhodologie.

Schelling (1963) attire l’attention sur le fait que feindre de céder le pouvoir à l’autre renforce sa position. Cet auteur, qui a obtenu le prix Nobel en 2005 pour la théorie des jeux, a une conception différente du pouvoir, défini en fonction de l’engagement de l’acteur. La négociation est alors menée comme un jeu de stratégie. En effet, selon Schelling, le négociateur a intérêt à faire une proposition menaçante et feindre de céder le pouvoir de décision aux parties adverses qui, pour éviter le scénario catastrophe, vont faire des compromis.

La communication comme révélateur de la relation

Le travail du négociateur consiste à instaurer un dialogue avec l’autre partie pour aboutir à un accord. Ce dialogue ne peut se réduire à un monologue à sens unique. La qualité de la communication est très importante pour atténuer l’impact de la méfiance vis-à-vis de l’autre partie, voire même instaurer un climat de confiance.

Pour autant, il ne suffit pas de vouloir communiquer, ni même de vouloir s’intéresser à l’autre pour qu’un véritable dialogue s’instaure. De nombreux phénomènes physiques, psychologiques ou cognitifs peuvent empêcher l’autre d’accepter l’échange, de percevoir notre discours, de comprendre nos intentions, de mémoriser les éléments clés ou de communiquer une réponse adéquate. Il existe ainsi des filtres qui peuvent empêcher la relation d’être naturelle et efficace.

Quelles sont les occasions de survenue de ces problèmes de communication ? Les plus fréquentes sont :

  • un complexe d’infériorité et de supériorité ;
  • un état d’esprit négatif, une mauvaise humeur ;
  • un abord froid et une posture de repli sur soi ;
  • un vocabulaire hésitant, avec l’utilisation de formes d’expressions négatives, de termes de culpabilité et de confusion ;
  • une affectivité non contrôlée, telle que la timidité ;
  • des réponses hésitantes, non affirmées et non assertées ;
  • un regard fuyant.

Ces comportements verbaux et non verbaux, qui sont souvent liés à la personnalité de l’interlocuteur ou à un état de stress, de fatigue ou à tout autre facteur contingent, peuvent provoquer l’échec de la négociation et ce pour deux raisons.

D’abord, il est difficile d’échanger avec une personne si elle ne fait pas preuve d’un minimum de bienveillance et d’ouverture.

Ensuite, ces comportements peuvent être interprétés d’une manière erronée et altérer ainsi la confiance qui doit s’établir entre les parties prenantes. En effet, certains signaux vont être mis en corrélation avec l’objet de la négociation et non en rapport avec la personne du négociateur. Ainsi, l’offre peut paraître douteuse.

Le rétablissement d’une communication de qualité est pratiquement assuré par deux stratégies ou plutôt par deux attitudes : celle du questionnement et celle de l’écoute active.

Le questionnement est le point de départ de la relation en négociation. Cela permet de :

  • manifester sa volonté de découvrir les besoins et les attentes de son interlocuteur ;
  • faire face aux objections ou éventuellement à la mauvaise foi du partenaire. En effet, l’emprunt de la méthode socratique, la maïeutique, permet d’inverser les relations de pouvoir de manière à les avoir en sa faveur.

Quant à l’écoute active, elle est le fondement de l’établissement d’un climat d’échange favorable et de l’instauration de la confiance. En plus, elle a le mérite de réduire la distance psychique entre les interlocuteurs et de les aider à mieux comprendre les attentes de l’autre. En effet, le fait de laisser son vis-à-vis s’exprimer sans l’interrompre, de noter ses propos, de reformuler sa pensée témoigne d’une attention portée et d’un désir de compréhension et d’empathie.

La rhétorique comme catalyseur de l’échange

Quelles que soient les relations de pouvoir et de confiance préalables à la négociation, le négociateur bénéficie d’une arme redoutable : la rhétorique.

La rhétorique : c’est la négociation de la distance entre des individus à propos d’une question donnée (Meyer, 2008).

Aristote, Platon et Cicéron définissent la performance de l’art oratoire à partir de la triade ethos/logos/pathos : le logos relève du style, le pathos engage l’émotion, l’ethos exprime les valeurs soutenues par le locuteur. Même si certaines différences de sens apparaissent selon les auteurs, c’est l’articulation de ces trois dimensions et la prépondérance donnée à chacune qui est à
même de provoquer le basculement d’opinion d’un interlocuteur (Meyer, 2008).

Caballero, Dickinson et Townsend (1984) estiment que les concepts utilisés en rhétorique (ethos, logos, pathos) sont valables et pertinents dans le cadre de la vente. Selon eux, la rhétorique doit obéir à deux conditions : la vérité et l’éthique. Il en est de même pour la vente. Le vendeur doit adapter sa manière de présenter le produit selon son interlocuteur.

Le processus de vente se fait alors selon trois axes :

  • L’ethos renvoie à l’image du vendeur et à la crédibilité qui émanera de sa personne. Elle est liée à ce qu’il est (son éthique, sa personnalité, son histoire et ses expertises relationnelles) et à ce qu’il représente (la marque, le produit qu’il vend). Il s’agit pour le vendeur de séduire, de trouver la bonne attitude, le ton juste pour proposer sa solution. Le vendeur devra faire corps commun avec son acheteur. Il devra mettre en avant ses appartenances communes avec son vis-à-vis.
  • Le logos désigne à la fois le « verbe » et la rationalité, le lieu de la capacité intellectuelle et de la logique. Le logos permet au vendeur de convaincre par la raison, les preuves. Il s’agit ici de montrer au client que l’offre que l’on propose répond à ses besoins et à ses attentes.
  • Le pathos se définit comme la persuasion par la passion. Il renvoie à la sensibilité du client.

Le vendeur fait ici appel aux sentiments pour susciter chez le client des émotions et l’impressionner. Il s’agit pour le vendeur de jouer le jeu de l’empathie avec son client. Cette persuasion s’opère en jouant sur les caractéristiques de la situation, en créant un contexte favorable à l’achat et en hypertrophiant les aspects émotionnels favorables à son offre. La réduction de l’échelle du temps historique à l’immédiateté sera un levier facilitant le passage à l’acte d’achat.

Ces trois dimensions sont interdépendantes et présentes dans tout entretien de vente à des degrés et des moments divers.

la conduite de la négociation commerciale

Pour les spécialistes de la vente (Goldman 1981, Whiting 2003) l’ensemble des méthodes de vente repose en réalité sur quelques idées clés :

  • tenir compte des besoins et des motivations de l’acheteur en ayant toujours présent à l’esprit l’usage que le client fait du produit (au moins aussi important que les qualités et le prix du produit lui-même) ;
  • être capable de développer une forte énergie, une ténacité et une capacité d’initiative ;
  • savoir argumenter et accepter les objections sans chercher à avoir le dernier mot ;
  • suivre une série d’étapes et de tactiques de vente.

La manière de mettre en œuvre ces préceptes varie néanmoins selon les méthodes utilisées.

Les facteurs clés de succès de la négociation commerciale

Les facteurs de clés de succès de la négociation sont interdépendants. Si chacun est nécessaire, ils ne sont pas suffisants à eux seuls pour atteindre un résultat optimum. Le négociateur averti se doit de les pondérer en fonction du contexte et des acteurs.

La préparation

Les négociateurs français ont la réputation de ne pas suffisamment préparer leurs négociations et de privilégier les « effets de manche » et la théâtralisation. De plus, la quasi-totalité des auteurs et des praticiens insistent sur l’intérêt d’une solide préparation, le manque de méthode dans ce domaine étant considéré comme une des erreurs les plus fréquentes (Cathelineau, 1991). À l’image d’un sportif de haut-niveau ou d’un joueur de strategic games, le négociateur doit se mettre en condition avant la compétition. La préparation se fait sur plusieurs niveaux, à savoir :

être actualisé sur les caractéristiques de sa propre offre et celle de ses concurrents de manière à pouvoir poser des questions clés, argumenter à bon escient et répondre à toutes les questions et objections ;

réaliser un diagnostic complet du contexte, pour formaliser les marges de manœuvre et les options dont on dispose, ce qui facilite la fixation des objectifs et le choix de la stratégie à adopter ;

être en bonne forme physique, afin d’avoir un esprit alerte et vif et de pouvoir faire face avec sérénité et calme aux différentes humeurs des interlocuteurs, ainsi qu’aux imprévus et aux situations complexes. Ne dit-on pas « un esprit sain dans un corps sain » ?

être présentable et agréable à voir, savoir se mettre en valeur par un choix minutieux de la coiffure, de la tenue vestimentaire, des accessoires et autres artefacts caractéristiques de la profession.

Le contenu et l’intensité de la préparation sont fonction de la nature et de l’importance de la négociation. De manière schématique, la préparation amont consiste à réaliser un diagnostic détaillé de la situation, à se fixer des objectifs en anticipant ceux de la partie adverse, à élaborer des stratégies de négociation et des plans d’action, à préparer des listes de questions, d’arguments et de contreparties. Cette préparation « à froid » se double d’une mise en condition « à chaud » juste avant l’entrée en relation.

La structuration de l’entretien

Il est important d’établir un plan de l’entretien afin de rentabiliser le temps de la rencontre, mieux gérer son stress et ainsi programmer l’autre vers un accord. À défaut de cette organisation, le négociateur risque de rater le contact initial destiné à faire une première bonne impression.

Ensuite, il peut passer à côté d’importantes informations car il n’aura pas posé les bonnes questions ou écouté attentivement son interlocuteur. Il peut manquer l’occasion d’argumenter sa proposition initiale dans sa complétude. Il peut enfin perdre du temps en se focalisant sur une étape de l’entretien et en négliger d’autres.

Ce plan peut être perturbé par l’autre partie qui refuse de se laisser conduire ou par des circonstances imprévues (temps plus court que prévu, lieu inadéquat, modification de la qualité ou du nombre des interlocuteurs, etc.). Le négociateur devra alors dépenser beaucoup plus d’énergie que nécessaire pour obtenir un accord favorable.

Ce plan comporte plusieurs étapes qui peuvent être regroupées en trois séquences :

Une séquence de consultation comprenant :

  • l’entrée en négociation (salutations, échange de cartes de visite, présentation des entreprises respectives, mise en accord sur le temps, le timing et l’ordre du jour) ;
  • la découverte des besoins et des attentes (questionnement, écoute active) ;
  • la synthèse et la récapitulation (reformulation des besoins, évaluation de la situation).

Une séquence de confrontation comprenant :

  • la proposition de l’offre (faire le lien entre les besoins du prospect et traduire l’offre en termes de solution) ;
  • le débat autour de l’offre (présentation des arguments, traitement des objections) ;
  • le bilan des échanges.

Une séquence de conciliation qui contient :

  • la négociation de l’offre (possibilité de remise pour une commande immédiate, délai accordé, mode de livraison) ;
  • la conclusion (récapitulation des termes de l’accord s’il a lieu, sinon ouverture sur d’autres possibilités) ;
  • la prise de congé (convenir du prochain rendez-vous, salutations).

À chacune de ces étapes, le négociateur doit adapter son attitude et son comportement : s’il faut faire preuve d’empathie lors des premières phases de l’entretien, il importe de faire preuve d’autorité lors des étapes d’argumentation. Il s’agit à chaque fois de trouver le bon dosage entre la nécessité de faire progresser l’accord vers un dénouement positif et l’obligation de construire une relation efficace.

La prise en compte du comportement non verbal

Il est difficile de dissocier la communication verbale de la communication non verbale, la deuxième est un support de la première qui peut la renforcer ou au contraire la discréditer. Un décalage entre le contenu et la forme du discours suscite la méfiance, alors qu’une adéquation entre les deux participe à l’établissement d’un climat de confiance, quel que soit le réel niveau d’authenticité des émetteurs.

La communication non verbale : sans le recours à la parole, elle désigne toute forme d’expression dont le corps est à la fois un moyen et un support. Elle intègre, entre autres, les expressions faciales, le regard, le ton et le tempo de la voix, le maintien du corps, la gestuelle, l’odeur, un tatouage, le style vestimentaire, le choix des accessoires. Elle est en partie volontaire et contrôlée. Elle est également inconsciente, sous le contrôle du système neurovégétatif.

Le non-verbal est souvent à l’origine de la construction de la première impression, car celle-ci se forme dès la perception de l’autre, avant même qu’il ne prononce un mot. Les interlocuteurs commencent à décrypter les signaux émis par chacun d’entre eux dès les tout premiers instants de la rencontre. Une analyse quasi instantanée s’ensuit. Elle a une double fonction : elle permet de cerner le profil de son interlocuteur, ainsi que de traiter l’information et juger de sa crédibilité.

La personnalisation du discours

L’art oratoire consiste à savoir construire et présenter son discours selon le profil et la position de son interlocuteur, sans oublier le contexte. Une des premières règles à respecter est la maîtrise de la culture de son interlocuteur.

La personnalisation du discours exige une collecte d’informations concernant l’interlocuteur, l’objet de la négociation et la situation. Finalement, pour une même offre, il est manifeste que le négociateur entreprend une argumentation différenciée selon les différentes typologies de clients.

C’est notamment le cas quand ces clients sont de culture différente. Il doit par ailleurs adapter son comportement aux variations de forte amplitude des états émotionnels de ses clients.

Au-delà de la simple adaptation aux comportements et aux discours de l’autre partie (besoins et positions affichés), le négociateur efficace doit montrer à l’autre qu’il a compris les attentes et les enjeux de la situation, mieux que ne l’aurait fait son concurrent ou un algorithme sur Internet. Il s’agit d’entendre ce que l’autre ne dit pas, de deviner les processus psychosociaux qui sous-tendent sa demande pour lui montrer, grâce à une rhétorique adaptée, que la proposition qu’on lui fait répond largement à ses attentes

Les méthodes de négociation

La plupart des typologies relatives à la négociation présupposent que le vendeur doit adapter son discours aux attentes du client, sans toujours expliciter la méthode à appliquer en fonction du contexte. L’utilisation de la rhétorique et des modalités du discours nous permet de mettre en lumière trois stratégies de vente génériques mobilisables dans différents contextes d’achat : la vente
affective ou émotionnelle, la vente relationnelle et la vente transactionnelle.

La vente émotionnelle

Les méthodes de vente affectives ou émotionnelles s’appuient d’abord sur le pathos. Ce sont les techniques du camelot dans les foires, du vendeur à domicile, du téléachat. Dans ces cas, le client n’a – a priori – ni de besoin, ni de problème particulier. Il n’attend rien du produit/service proposé par le vendeur qui cherche donc à imposer sa solution en faisant passer le client par plusieurs états émotionnels.

La pulsion d’achat est déterminante. Elle est induite par la modalité du pouvoir, c’est-à-dire une possibilité d’exercer une influence émotionnelle vive sur le client. Cette force émotive a pour but la manipulation de la cible dans le sens où le vendeur opère un changement de position. Il s’agit d’un « faire-faire » qui a pour but de faire passer le prospect de l’état de non-achat ou de « non-vouloir-consommer » à un état de désir d’achat ou de « vouloir-consommer ».

Ces méthodes reposent sur plusieurs moments clés :

  • éveiller l’intérêt de l’autre (par l’humour, l’utilisation d’un effet de surprise, le fait de raconter une anecdote, de procéder à une démonstration du produit) pour plaire à tout prix (pathos) ;
  • convaincre par des arguments ou des figures de styles, des métaphores (promotion, urgence, essai gratuit) pour remettre en cause les préjugés du client qui freinent l’achat, jusqu’à prendre le risque d’être désavoué (logos) ;
  • séduire (en faisant appel à des témoignages ou à des personnalités connues, renforcer les appartenances communautaires pour plaire et éviter de déplaire) (ethos).

Le vendeur doit persuader l’autre avant de le convaincre puis de le séduire, selon un schéma pathos, logos, ethos

La vente relationnelle

Les méthodes de vente conseil ou relationnelle reposent d’abord sur l’ethos, c’est-à-dire l’expertise, l’image de marque et la crédibilité du vendeur. Dans ce cas, le vendeur est principalement régi par la modalité du devoir. En effet, le conseil exige de celui qui le prodigue une compétence et une expertise comportementale et relationnelle à traiter la demande. Ce traitement s’opère par la personnalisation de l’offre en conformité avec l’identité individuelle et collective du prospect. Par ailleurs, il y a un devoir d’honnêteté du vendeur, autrement l’ethos ne peut opérer.

La vente relationnelle se caractérise par la nécessité d’un dialogue et cela même si le client connaît bien le produit : il préférera échanger avec le vendeur parce qu’il le croit de bon conseil ou bien pouvant lui assurer de nombreux services complémentaires par sa connaissance de son réseau de prestataires et de consommateurs. Il le suppute de bonne réputation et conforme aux valeurs et pratiques de consommation de son groupe social (Goffman, 1974).

C’est la vente du concessionnaire automobile, du visiteur médical, du consultant. Le vendeur jouera prioritairement sur l’ethos en évitant soigneusement de montrer des caractéristiques culturelles et psychologiques qui risqueraient de rentrer en conflit avec les automatismes de son client. L’utilisation du produit, l’enjeu du contrat (ce que le client a à gagner ou à perdre dans la vente) est déterminant dans un second temps lorsque la reconnaissance de l’ethos du commercial-conseil est validée.

L’objectif du vendeur est donc de comprendre les besoins et les attentes du client en fonction de son univers avant de proposer une solution s’adaptant précisément à l’environnement de son client. Ce type de vente repose sur plusieurs moments clés (Bellenger, 1992) :

  • un accueil et une prise de congé professionnel visant à renforcer la relation (ethos) ;
  • une écoute attentive où il faut faire preuve d’empathie (plaire en s’affirmant et éviter de déplaire par un ethos divergent) ;
  • une proposition ferme, argumentée et personnalisée pour montrer son expertise (logos) ;
  • une conclusion qui va guider le client vers l’achat et laisser place si besoin à la négociation pour revaloriser le plaisir de l’achat (pathos).

Certains professionnels utilisent des acronymes pour mémoriser ces différentes étapes, comme par exemple la méthode DIPADA : Définir le besoin, Identifier la solution, Prouver l’intérêt de la transaction, Accepter, éveiller le Désir, provoquer l’Accord.

Il s’agit pour le vendeur de séduire (ethos) avant de convaincre (logos) puis de persuader (pathos). Nous sommes ici dans le schéma inverse du précédent : ethos – logos – pathos.

La vente transactionnelle

Les méthodes de vente transactionnelle reposent d’abord sur le logos. Il s’agit en effet pour l’acheteur de réaliser une transaction la plus rapide possible et au plus faible coût d’acquisition. La relation entre l’acheteur et le vendeur est souvent désincarnée (vente par correspondance, par Internet, par téléphone, par appel d’offres, vente comptoir, transaction service achat-fournisseur).

Le client connaît son besoin, sait ce qu’il veut et il convient pour finaliser la vente de le guider dans ses choix, de le conforter sur la rationalité de son achat pour lui permettre de justifier le bien-fondé de sa décision vis-à-vis des tiers. Cette méthode exige d’utiliser la modalité du savoir à un triple niveau : connaissance technique (produit), connaissance du marché (clients et concurrents),
connaissance des techniques de communication.

Ce type de vente repose sur plusieurs moments clés :

  • repérer et cibler les clients prédisposés à acheter ;
  • présenter des arguments génériques selon un plan préétabli, quitte à orienter immédiatement le besoin sur la vente d’un autre produit argumentable (logos) ;
  • traiter les principales objections du client et l’inciter à l’achat en utilisant des techniques d’influence pour vaincre ses dernières réticences (pathos) ;
  • renvoyer à une appartenance commune renforçant le bien-fondé de l’achat auprès de ce vendeur et dans cette enseigne (ethos).

Il s’agit pour le vendeur de convaincre avant de séduire et de persuader. Ici, c’est la signature du contrat qui vaut appartenance à la seule communauté reconnue par le vendeur : celle des clients de sa société.

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